Madiha Ellaffi est pneumologue et allergologue à Albi, spécialisée dans les maladies du sommeil de l’adulte et de l’enfant. Très active dans son domaine de santé et avec la volonté de faire connaître ces pathologies, elle sensibilise et accompagne patients et médecins au quotidien, dans son cabinet ou à travers ses différents projets et associations.
Nous l’avons rencontrée lors de la journée Sommeil Santé où elle animait conférences et ateliers autour de ses sujets de prédilection, afin de lui poser quelques questions…
Bonjour Madiha, vous êtes depuis longtemps spécialisée dans les troubles du sommeil de l’adulte et de l’enfant. Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?
J’ai une formation de pneumologue au départ. Je me suis beaucoup occupée de mucoviscidose et de maladies neuromusculaires, puis j’ai intégré une équipe qui traitait énormément d’allergies. Je m’y suis donc intéressée, ainsi qu’aux troubles du sommeil qui y sont fréquemment liés, et j'ai obtenu un diplome d'allergologue.
Quant aux troubles du sommeil de l’enfant, c’est d’abord parce que j’y ai été directement sensibilisée : mes quatre enfants en ont souffert ! Surtout mon fils aîné, qui a été opéré à 5 ans. J’avais assisté à une conférence sur l’apnée du sommeil et en voyant les diapositives défiler, j’ai réalisé que c’était exactement ça ! Les ronflements, la transpiration la nuit, la fatigue, l’énervement… Il avait tous les symptômes. J’ai regretté que l’on s’en soit rendu compte tardivement, alors petit à petit je me suis formée sur le sujet… J’ai assisté à des réunions d’information scientifiques ou très pratiques -comme les JPRS, j’ai participé aux Ateliers d’Arcachon qui forment à la prise en charge des troubles respiratoires du sommeil et j’ai continué à me former sur ces pathologies appliquées à l’enfant jusqu’au diplôme interuniversitaire.
Aujourd’hui, je reçois énormément d’enfants souffrant d’allergies qui ont aussi des troubles du sommeil. Il y a en effet beaucoup de lien entre l’allergie, en forte augmentation ces dernières années, l’asthme, touchant 10% des enfants en France et dans les pays occidentaux, et le syndrome d’apnée du sommeil de l’enfant, évalué à 5% pour ses formes les plus sévères.
Il faut donc être très vigilant si un enfant ronfle et si il a un asthme (d’autant plus quand il est difficile à contrôler et que l’enfant est souvent malade) et se poser la question de l’apnée du sommeil… On lui préfère d’ailleurs le terme de « troubles respiratoires obstructifs » ou « Sleep disorder breathing » en anglais, car mal respirer la nuit, même sans arrêt respiratoire, cela suffit déjà à provoquer des troubles du comportement.
Bien sûr, on ne peut pas tout mettre sur le compte du sommeil mais si un enfant est en permanence fatigué, énervé, susceptible, grognon, qu’il présente des troubles de l’attention ou de l’hyperactivité, cela vaut vraiment la peine de faire un point avec un médecin. On recherchera d’abord les causes les plus classiques comme le manque de sommeil, un environnement de sommeil pas adapté ou de mauvaises habitudes, mais on s’intéressera aussi à sa respiration. Car on peut soigner ces pathologies, ce n’est pas une fatalité !
Pourquoi ces troubles du sommeil de l’enfant, le SAOS notamment, sont encore si peu traités ?
Il ne sont pas assez recherchés car les gens ne les connaissent pas, ou mal.
C’est pourquoi nous avons créé l’association IDEAS (Inter Disciplinarité Enfant Adolescent Sommeil) avec Marie-Pierre Perriol (neurologue neurophysiologiste à Lille), Catherine Lamblin (pneumo allergologue à Lille) et Annick Andrieux (pneumo pédiatre à Bordeaux), afin d’aider nos confrères à trouver des ressources et des informations. Nous travaillons déjà chacune en pluridisciplinarité dans nos régions et avons nos réseaux composés d’ORL, d’orthodontistes, de kiné, de dentistes, de pédiatres et neuro pédiatres, et toutes autres spécialités dont on peut avoir besoin pour soigner l’enfant.
Plus on formera de médecins et de professionnels de santé, plus on pourra informer le grand public et le milieu de la petite enfance. Les psychologues, les psychomotriciens, les assistantes maternelles, le personnel de crèche ou d’école pourront ainsi repérer des signes et alerter les parents…
J’ai l’exemple d’une patiente venue me voir en consultation. Je remarque qu’elle a un petit pharynx et lui dis que si d’autres membres de sa famille présentent la même morphologie, il peuvent également souffrir de troubles du sommeil. Elle me raconte alors que sa fille de 3 ans ½, en petite section de maternelle, ronfle si fort qu’on lui a demandé de la garder à la maison pour la sieste. Elle réveillait tous le dortoir ! Je lui ai suggéré de me l’amener rapidement en consultation et en effet, elle avait une apnée encore plus importante que sa mère. Une fois prise en charge et opérée, elle a pu retourner à l’école et tout est rentré dans l’ordre.
Comment détecter l’apnée du sommeil chez son enfant ? Quels sont les signes qui doivent alerter ?
D’abord, le ronflement. Un enfant qui ronfle, ce n’est pas normal.
On peut être enrhumé et ronfler pendant 3 jours, ça passe. Mais si un enfant ronfle tout le temps, il faut vraiment se poser des questions ! De même si il transpire beaucoup, qu’il a un sommeil agité, qu’il se réveille la nuit sans raisons apparentes, qu’il est fatigué au réveil alors qu’il devrait avoir suffisamment dormi… L’énurésie fait aussi partie des symptômes (qu’il fasse pipi au lit ou qu’il se réveille régulièrement pour aller aux toilettes). On peut également repérer des problèmes de comportement à l’école, agressivité, colère, agitation, grosses difficultés de concentration…
Attention, ce n’est pas parce que l’enfant ne coche pas toutes ces cases qu’il n’y a pas de souci et qu’il ne faut rien faire, il peut tout de même souffrir d’une forme de trouble du sommeil moins sévère. Mais bien évidemment, tout cela se vérifie sur la durée…
Un enfant peut très bien présenter ces symptômes pendant quelques jours ou quelques semaines parce qu’il a été malade. Par contre, si ça devient chronique et que ça perturbe sa croissance, ses apprentissages et le quotidien de la famille, là il faut s’inquiéter. Surtout que si on ne fait rien lorsque l’enfant est encore petit, les anomalies morphologiques perdureront le syndrome d’apnée du sommeil sera bien plus sévère et plus difficile à traiter à l’âge adulte.
Comment traite-t-on le syndrome d’apnée du sommeil chez l’enfant ?
La prise en charge est multidisciplinaire. Moi qui suis pneumologue, allergologue et somnologue, je réalise à la fois le bilan de sommeil et le bilan allergo. Mais un collègue ORL peut orienter le patient vers un somnologue et vers un allergologue, par exemple.
Quelque que soit la personne qui va poser le diagnostic au départ, le travail sera de toute façon effectué à plusieurs et je demande systématiquement aux parents de faire un bilan ORL complet, de faire le point avec un orthodontiste, avec un kiné ou un orthophoniste pour une rééducation maxillo-faciale si elle est nécessaire. Les enfants en surpoids peuvent aussi être adressés à un pédiatre endocrinologue spécialisé dans cette prise en charge, car il y a souvent un lien entre surpoids et troubles du sommeil.
Alors c’est vrai, la liste peut paraître longue et inquiéter les parents ! Mais cela ne veut pas dire que les enfants vont voir tous ces spécialistes, ni qu’ils vont les voir longtemps. Ce qui est important, c’est que la prise en charge sur un ou deux ans soit globale, car il y a des choses qui devront être mises en place rapidement pour éviter des troubles d’apprentissage, de l’asthme décompensé ou autres. Mais d’autres choses se feront au fur et à mesure.
À titre d’exemple, les rendez-vous ont lieu toutes les six semaines pour un traitement orthodontiste, et tous les 4 mois à mon cabinet. Alors qu’un suivi chez l’orthophoniste pour une dyslexie peut nécessiter un rdv toutes les semaine pendant 4 ans ! Il faut donc relativiser… Surtout qu’une fois que tout est bien mis en place, les améliorations sont vraiment rapides et les parents et enfants sont contents !
C’est pour sensibiliser médecins, parents et enfants à cette pathologie que vous avez imaginé le livre Un sommeil de Marmotte… Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
J’adore les livres pour enfants, et j’avais envie d’un outil qui me permette d’expliquer l’apnée du sommeil aux enfants. J’ai eu l’idée d’un livre qui raconte l’histoire d’un enfant souffrant de ce syndrome, avec ses différents symptômes et les professionnels de santé à rencontrer, jusqu’à arriver au diagnostic… sans jamais parler de maladie ! Je l’ai fait réaliser par Julie Eugène, qui avait déjà illustré le très beau Et encore à l’envers sur les enfants dyspraxiques. Elle a parfaitement su mettre en images et en mots ce projet.
C’est donc l’histoire d’une petite marmotte qui s’appelle Martin et dont on découvre le quotidien. Docteur Dodo se rend compte que tous ses soucis viennent peut-être du fait qu’il a du mal à respirer et le fait soigner. Martin est alors très heureux, il va beaucoup mieux !
Les deux dernières pages proposent un Questions-Réponses qui reprend tous les symptômes et leurs pendants (un enfant très agité peut aussi être un enfant très timide et renfermé, un enfant qui ronfle peut aussi être un enfant qui respire fort bouche ouverte sans forcément ronfler, etc…) pour pouvoir en discuter en famille, ainsi que les 10 conseils pour bien dormir car un bon sommeil commence par de bonnes bases.
Un Sommeil de marmotte devrait sortir aussi en application. Là encore, pouvez-vous nous en dire plus ?
L’argent récolté sur les ventes du livre sert à développer une application santé du même nom, qui proposera plein de petits jeux pour les enfants (attention, pas trop longtemps pour limiter l’exposition aux écrans !) dans un but d’éducation thérapeutique. L’enfant peut ainsi comprendre la maladie en soignant sa marmotte, et lui en même temps. On peut parfois avoir tendance à oublier ou à bâcler ses exercices de kiné linguale par exemple, là une petite alerte va nous rappeler à l’ordre et on va les faire tout comme Marmotte.
C’est un projet qui me tient vraiment à cœur et j’espère que cette application pourra rapidement voir le jour, afin que l’on puisse améliorer la prise en charge des enfants malades et les aider au quotidien…
Pour finir, pouvez-vous nous donner vos trois conseils essentiels pour bien dormir ?
Se détendre, dormir dans une chambre fraiche et dans le noir, vivre dans un environnement le plus sain possible : une maison loin des grands axes routiers, pas de tabac dans la maison, pas d’animaux dans la chambre. Et garder des horaires réguliers. Mais je crois que j’ai dépassé les 3 conseils, là !
Un immense merci à Madiha Ellaffi !
Le livre "Un sommeil de marmotte" est disponible en librairie ou sur le site des éditions Un Autre Reg’Art. Une campagne de crowdfunding est en cours afin de soutenir le financement de l’application, pour en savoir plus et participer, rendez-vous sur Hello Asso. Vous retrouvez des informations sur les maladies respiratoires des enfants sur la page Facebook Sommeil de Marmotte.
Le 22 novembre dernier, le Docteur Madiha ELLAFFI a signé, avec un collectif de médecins, une tribune dans le journal Le Monde sur les troubles respiratoires du sommeil chez les enfants.
- Connectez-vous ou inscrivez-vous pour publier un commentaire